La galerie Xenithia-Nomade présente à Paris du 10 au 15 février 2022 un projet du photographe Quentin Gassiat intitulé Zones d'Exception, la cité à l'ère du nucléaire.
Prenant le parti d'arpenter les lieux de la mémoire des tragédies nucléaires, Quentin Gassiat s'est rendu successivement à Tchernobyl, Hiroshima, Nagasaki et Namie (Fukushima). Quatre villes frappées de toute violence et dans chacune desquelles l'artiste cherche à comprendre comment la vie urbaine a pu reprendre son cours. Sa démarche s'articule aussi bien autour d'un parcours visuel présenté lors de l'exposition (photographies, court-métrage), que de la réalisation d'entretiens avec des survivants de ces catastrophes et qui feront l'objet d'une présentation ultérieure.
Les tragédies nucléaires ont décimé des communautés entières, les ont reléguées au ban de leurs nations : peur de la contamination, peur d'être le vecteur de quelque maladie de l'atome, peur d'engendrer des monstres… Dans la Supplication, Svetlana Alexievitch relate les expériences des enfants qui consistent à mettre leurs camarades irradiés dans la cour la nuit pour voir s'ils luisent… Un mal invisible à l'oeil nu, trompeur et insidieux.
Mettant en correspondance ces quatre villes, l'artiste nous donne à voir des paysages : scènes de rues paisibles à Hiroshima et Nagasaki, comme si les traces de la violence de la bombe avait définitivement disparu et qu'une urbanité tranquille avait repris sa place, scènes de vide dans les rues de Namie, tandis que Pripyat semble devenir le déjà-vu d'une mise en scène macabre. A Hiroshima, le mémorial fait figure de lieu tranquille où l'on vient se promener à la nuit tombante pour profiter de la fraîcheur des abords du fleuve… Quelle mémoire transmettent les stades et les terrains de basket de Pripyat?
Dans le travail de Quentin Gassiat, nous nous situons en 2018 et 2019 dans un temps déjà distant, dans la mémoire d'une apocalypse dont nombre de protagonistes ont déjà disparu. Point de victimes visibles, point de corps écorchés ni de ruines fumantes. Il y a comme une inquiétante banalité dans ces villes que les témoignages permettent de mettre en perspective.
Cette banalité suscite un malaise… C'est bien la sensation que nous ressentons en voyant les symboles encore debout: symboles de Tchernobyl, entre ces vitraux encore relativement bien conservés et le monument érigé à la mémoire du sacrifice des liquidateurs, symboles d'Hiroshima et de Nagasaki, la grue en souvenir de cette enfant morte de leucémie, le lieu où la bombe est tombée, aujourd'hui un jardin d'enfant dans lequel déjà Günther Anders en 1958 percevait une faiblesse représentative, et finalement les symboles de Namie, ces statuts d'enfants, une promesse d'avenir désormais pétrifiée.
Namie est pour l'instant l'ultime étape de ce travail photographique et en même temps la catastrophe la plus récente. Déclarée vivable par les autorité japonaises, la ville semble à peu près propre, avec sa gare, ses bus et ses sapeur-pompiers dont on annonce la présence sur de vastes panneaux flambants neufs. Routes dégagées, signalétique claire : tout semble fait pour que l'on puisse circuler. Mais il n'y a quasiment personne : on ne trouve à Namie ni la vie humaine dans son animalité ni la vie politique, malgré les incitations du gouvernement japonais. Aucun enfant n'ira reprendre cette balle multicolore abandonnée dans un caniveau. Qui d'ailleurs souhaiterait revenir dans cette ville meurtrie par la radioactivité et où s'entassent encore à certains coins de rue des sacs remplis de déchets contaminés ? Quelle tristesse que ce collège qui semble bien entretenu, mais dont l'image saisie par Quentin Gassiat dégage une impression de froideur silencieuse et mélancolique. Les voix enfantines se sont tues, les broussailles folles envahissent les jeux abandonnés… Jusqu'aux lieux de sociabilité comme ce restaurant chinois dont on devine que la porte béante n'ouvre que sur le néant d'une salle vide.
Pourquoi y-a-t'il quelque chose et pas rien ?
Exposition du 10 au 15 février à Paris, 13 rue de Saintonge.
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